Cet article lève le voile sur leur rôle crucial, les obstacles qu'elles affrontent quotidiennement et les initiatives émergentes qui transforment progressivement le secteur.
Un Rôle Central Mais Méconnu
70% de la main-d'œuvre, 0% de reconnaissance
Dans les régions productrices d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie, les femmes constituent la colonne vertébrale de la caféiculture. Elles assurent les tâches les plus essentielles : plantation des semis, entretien minutieux des plants, récolte manuelle des cerises de café, tri méticuleux des grains et transformation post-récolte.
Quelques chiffres clés par pays :
- Kenya : 60% des travailleuses du secteur
- Ouganda : 58% du travail dans les plantations et 72% pendant la période post-récolte (étude Farm Africa, district de Kanungu)
- Éthiopie : 75% de la main-d'œuvre agricole (berceau du café arabica)
Pourtant, un paradoxe persiste : la production de café reste perçue comme une profession masculine. Les femmes demeurent une main-d'œuvre invisible, accomplissant le travail de l'ombre pendant que les hommes occupent les postes visibles de décision et de commercialisation.
Une double journée de travail épuisante
La réalité quotidienne des femmes caféicultrices dépasse largement le travail aux champs. Au Kenya, elles consacrent environ 10 heures par jour aux tâches domestiques, soit 60% de leur temps éveillé.
Une étude comparative menée en Ouganda illustre de manière frappante cette inégalité :
- Hommes : 8 heures de travail quotidiennes
- Femmes : jusqu'à 15 heures quotidiennes en cumulant la production de café et les responsabilités ménagères
Ce triple rôle de productrices, mères et gestionnaires du foyer laisse peu de temps pour développer des activités génératrices de revenus supplémentaires. Les conséquences sont lourdes : fatigue chronique, impact sur la santé et perpétuation d'un cycle de dépendance économique difficile à briser.
Des Inégalités Structurelles Profondément Ancrées
Un accès limité aux ressources essentielles
Les obstacles auxquels font face les femmes caféicultrices ne relèvent pas du hasard, mais de structures patriarcales solidement ancrées. Leur accès à la terre, ressource fondamentale dans l'agriculture, reste considérablement limité.
Exemple du Cameroun : Les us et coutumes traditionnelles ne reconnaissent pas aux femmes le droit de posséder des terres. Elles cultivent des parcelles appartenant aux hommes, sans aucun contrôle sur la propriété.
Conséquences en cascade de cette absence de titre foncier :
- Difficultés à obtenir des crédits bancaires
- Exclusion des formations techniques sur les méthodes agricoles modernes
- Marginalisation des réseaux commerciaux
Les productrices à faible revenu et les femmes autochtones sont particulièrement touchées, se retrouvant dans l'impossibilité d'améliorer le rendement et la qualité de leur café ou de le commercialiser à des prix équitables.
L'écart salarial : une réalité chiffrée
Les disparités économiques entre hommes et femmes dans la caféiculture ne relèvent pas de l'impression, mais sont solidement documentées.
Selon le rapport 2015 de la Specialty Coffee Association en Afrique de l'Est :
- Hommes : plus de 700 dollars dans la production de café
- Femmes : moins de 450 dollars pour un travail similaire
L'exemple éthiopien : Bien que les femmes génèrent 75% de la production agricole, elles ne conservent que 34% des revenus. Cette injustice s'explique notamment par la prédominance masculine dans le transport et la vente finale du café. Lorsque les hommes perçoivent l'argent des ventes, les femmes accèdent difficilement à ces revenus et manquent souvent de transparence sur la gestion des finances du foyer.
Exclues des postes de décision
Dans les communautés rurales kenyanes, comme dans de nombreuses régions productrices, les structures patriarcales confinent les femmes aux tâches d'exécution. Les hommes conservent le monopole de la gestion de la production agricole, des décisions stratégiques et des relations commerciales. Au sein des coopératives de café, instances cruciales qui gèrent la commercialisation, les femmes participent rarement aux prises de décision.
— Association des Femmes dans le Café au Cameroun
Cette invisibilité, cette relégation au rang de main-d'œuvre fantôme, constitue peut-être l'injustice la plus profonde.
Quand les Femmes S'organisent : Initiatives Inspirantes
Les coopératives exclusivement féminines
Face à ces obstacles, les femmes ne restent pas passives. Des coopératives exclusivement féminines émergent pour reprendre le contrôle de leurs revenus et conditions de travail.
Alliance des Femmes dans le Café
- Créée en 2013
- Plus de 350 membres : productrices, cupeuses, baristas, commerçantes et propriétaires de cafés
- En 2018, partenariat avec Rainforest Alliance pour former plus de 200 femmes
- Domaines de formation : techniques de barista, cupping, marketing, certifications, littératie financière
Résultats : Amélioration de la qualité du café, revenus stabilisés, et représentation du leadership féminin dans des foires internationales.
La coopérative a récemment remporté le Fair Cups Audience Award au Berlin Coffee Week 2025, consacrant l'excellence du café produit par des femmes.
L'International Women's Coffee Alliance
Fondée en 2003 par six pionnières américaines et centraméricaines, l'International Women's Coffee Alliance (IWCA) est devenue la référence mondiale de l'autonomisation des femmes dans le café.
L'IWCA en chiffres :
- 35 chapitres répartis sur tous les continents
- Mission : soutenir le travail et la croissance des femmes dans la communauté internationale du café
- Programmes de formation technique
- Renforcement du leadership féminin
- Partenariats avec l'Organisation Internationale du Café et la Specialty Coffee Association
Les labels et certifications féminins
Le label "Women's Coffee" et d'autres certifications similaires permettent aux consommateurs conscients de soutenir directement les productrices. Ces initiatives créent une traçabilité et valorisent le travail féminin sur le marché international.
L'approche de TechnoServe : L'organisation va plus loin en impliquant également les hommes. Les maris sont encouragés à accompagner leurs épouses aux formations, créant un environnement plus sécurisant et favorisant l'adhésion communautaire au changement.
L'Apport Unique des Femmes à la Qualité du Café
Lorsque les femmes reçoivent formation et autonomisation, elles apportent un soin particulier à la culture et à la transformation du café, améliorant significativement la qualité du produit final. Leur approche tend à favoriser des pratiques agricoles plus durables et respectueuses des communautés locales.
Cette agronome incarne l'expertise féminine reconnue. Elle enseigne aux fermiers les techniques de taille des caféiers, et "les temps changent" selon les observateurs locaux, qui voient émerger une nouvelle génération de femmes influentes.
Elle a ouvert la voie en créant des formations et en encourageant des coopératives dirigées par des femmes, devenant une source d'inspiration pour les productrices du monde entier.
Conclusion
Les femmes constituent l'épine dorsale de la production mondiale de café, pourtant elles restent les grandes oubliées de cette filière lucrative. Inégalités salariales, accès limité aux ressources, exclusion des décisions : les obstacles sont nombreux et structurels.
Mais les initiatives comme l'IWCA, les coopératives féminines et les labels spécialisés démontrent qu'un changement profond est possible. En tant que consommateurs, nous pouvons participer à cette évolution en choisissant des cafés qui soutiennent les productrices.
Reconnaître et valoriser le travail des femmes, c'est améliorer toute la filière café et construire une industrie plus juste et durable.
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